quinta-feira, 2 de junho de 2011

Edito du Monde - LA POLITIQUE ET LE CRIMINEL POISON DE LA RUMEUR





Calomniez, il en restera toujours quelque chose. L'ancien ministre de l'éducation de Jacques Chirac, le philosophe Luc Ferry, a accusé lundi 30 mai sur Canal Plus un ancien ministre de s'être "fait poisser [attraper] à Marrakech dans une partouze avec des petits garçons".

La dénonciation de M. Ferry intervient dans un climat délétère, après l'affaire Dominique Strauss-Kahn, inculpé à NewYork pour tentative de viol, tandis que Georges Tron, secrétaire d'Etat à la fonction publique, a dû démissionner après avoir été visé par une enquête pour harcèlements sexuels. Dans les deux cas, la presse s'est vu reprocher son indulgence sur le comportement de certains responsables politiques.

La déclaration de M.Ferry est condamnable à deux égards. Si l'ancien ministre avait des certitudes depuis longtemps, il s'est rendu coupable de non-dénonciation de faits délictueux. Comme l'a relevé, à juste titre, le ministre des affaires étrangères, Alain Juppé, "si on a eu la conviction qu'il y a eu un délit, voire un crime, on saisit la justice et on ne va pas bavasser dans la presse".

Si M. Ferry n'a fait que colporter des rumeurs, ses propos sont alors diffamatoires. Certes, il peut prétendre qu'il n'a pas livré de nom. Internet et Twitter s'en sont chargés pour lui. Depuis deux jours, plusieurs personnalités ont été soupçonnées, nommées, acculées à s'exprimer sans que le moindre début de preuve ait été apporté.

Le piège médiatique se referme. Ne rien écrire, c'est, aux yeux de certains, passer pour complice, forcément complice. Ecrire, c'est donner du crédit à des accusations qu'il sera impossible de réfuter ou qui laisseront des traces.

Il existe un précédent grave, celui de l'ancien maire de Toulouse, Dominique Baudis, dont le nom a été injustement livré en pâture en 2003 dans l'affaire du tueur en série Patrice Alègre.

L'"affaire Ferry" a été lancée par un article du Figaro Magazine, samedi 28 mai, qui reprenait de vieilles rumeurs, jamais étayées. Très vite, des noms de coupables imaginés circulaient sur Twitter. L'emballement conduit, par un tragique renversement, à devoir prouver son innocence, à devoir réfuter les unes après les autres les rumeurs les plus folles.

M. Ferry assure qu'il n'a pas les preuves de ce qu'il avance, mais il s'est dit ravi d'avoir jeté un pavé dans la mare. Une telle attitude est indigne de la part d'un homme qui est l'une des cautions intellectuelles de la droite. Elle alimente un climat de soupçon généralisé qui ne peut que faire le jeu de l'extrême droite. Elle donne libre cours à la thèse du "complot", puisqu'il affirme avoir des témoignages de la part "des autorités de l'Etat au plus haut niveau"…

Le parquet de Paris a fait ce qu'il avait à faire: ouvrir une enquête préliminaire sur les allégations du philosophe, devenu, selon l'accusation du porte-parole du gouvernement, François Baroin, "acteur" de la rumeur. La justice aura le mérite de canaliser l'affaire. C'est une consolation peu satisfaisante après ce grand tintamarre qui n'a jusqu'à présent rien révélé.

**Article paru dans l'édition du 03.06.11


Sem comentários:

Mais lidas da semana