LE MONDE
Antalya (Turquie), envoyé spécial - En arrivant au poste frontière qui sépare la Syrie de la Turquie, Hassan était prêt à mourir. "J’ai montré mon passeport. J’étais fiché. Je m’attendais à être arrêté. Le flic syrien m’a regardé d’une manière terrible. Je lui ai dit : 'Soit tu me laisses passer, soit tu me tues ici. Mais si tu veux me tuer, laisse-moi faire une dernière prière.' Le flic m’a jeté mon passeport et m’a dit : 'Dégage et ne reviens pas !'"
C’est ainsi qu’Hassan dit être sorti de Syrie, traqué, harcelé, tenu pour l’un des leaders des soulèvements dans la ville de Lattaquié, dans le nord-ouest du pays. D’une voix douce, ce jeune Syrien de 29 ans, présent à la réunion de l’opposition syrienne d’Antalya, raconte sa fuite. "Je suis arrivé en Turquie il y a douze jours, je dors dans une mosquée à Istanbul." Il a déposé une demande d’asile politique auprès du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies.
Lattaquié fut, après Deraa, l’une des premières villes secouées par des manifestations contre le régime de Bachar Al-Assad. "On sortait dans les rues, on écrivait des slogans sur les murs, cela a commencé comme ça. Mais si le régime a pu tuer autant de monde, c’est parce qu’il y avait une désorganisation totale parmi les manifestants."
Au moins 170 personnes ont été tuées par les forces de sécurité dans la ville portuaire, selon les estimations locales, et une centaine d’autres ont disparu. "L’armée est présente dans la ville et tout autour. Des snipers sont sur les toits. Dès qu’il y a un rassemblement de plus de cinq personnes, ils tirent. Nous sommes obligés de faire des manifestations très mobiles, à plusieurs endroits, en même temps, pour disperser les forces de sécurité, raconte Hassan. Nous ne restons pas plus de dix secondes à un endroit, le temps de provoquer la police. Après cela devient trop dangereux."
UN DÉLUGE DE FEU
Par deux fois, il a été arrêté. "La première fois, le 14 avril, nous avions organisé un sit-in sur une place de la ville. Après douze heures de siège, la police a chargé. Les balles fusaient autour de ma tête. J’ai été frappé durement. Il y a eu au moins 25 morts."
Le dimanche 17 avril, jour de la fête de l’indépendance syrienne, de nouvelles manifestations sont prévues dans son quartier. En deux-trois clics sur Internet, Hassan navigue de Facebook à YouTube et montre une vidéo tournée avec un téléphone portable. "Je connaissais le quartier et j’ai tenté d’avertir mes amis que l’armée allait tirer, explique-t-il. Ils pensaient pouvoir s’assurer le soutien des soldats. Je suis monté chez mes parents pour filmer depuis le balcon. Ma mère pleurait."
Les images saccadées montrent une procession de plusieurs dizaines de personnes, armées de bougies et de branches d’olivier, réclamant liberté et démocratie. Soudain, un coup de feu claque, puis dix, puis mille. Un déluge de feu. Les manifestants tombent en rafales. "Trente-huit morts ce jour-là et plus de 50 blessés", selon Hassan. Cette vidéo, filmée d’une main tremblante, montre la violence de la répression. Hassan n’a plus dormi chez lui après. "Depuis ce jour, je n’ai plus peur de mourir."
Guillaume Perrier
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